Cancer du sein : un dépistage personnalisé

Une femme sur huit sera confrontée à un cancer du sein. Face à ce constat, le Dr Mahasti Saghatchian, oncologue médicale à l’Hôpital américain, propose une approche personnalisée afin que le cancer du sein ne soit pas une fatalité.

 

Explique-t-on la hausse de l’incidence des cancers du sein ?

Docteur Mahasti Saghatchian : Le cancer du sein est une maladie d’une part génétique et de l’autre une maladie du vieillissement. Il survient à partir de 40 voire 50 ans avec un pic d’incidence à 65 ans. C’est aussi une maladie hormonale. Les facteurs hormonaux jouent un rôle majeur. On constate de nos jours qu’avec l’âge de la survenue des règles qui diminue, et l’âge de la ménopause qui augmente, la période d’imprégnation hormonale chez les femmes est beaucoup plus longue qu’avant. Associés à cette situation, les facteurs environnementaux agissent aussi directement par l’alimentation et les substances toxiques exogènes. Puis viennent évidemment nos modes de vie, sédentarité, surpoids, manque d’activité physique… C’est l’ensemble de ces facteurs qui explique cette augmentation. Si on étudie la carte du monde du cancer du sein, on voit clairement un taux d’incidence très fort pour les pays industrialisés, et une incidence beaucoup plus faible pour les pays en voie de développement. Et une incidence qui commence à augmenter dans les pays comme la Chine, en voie d’industrialisation rapide.

Le dépistage organisé à partir de 50 ans n’est-il trop tardif compte tenu de l’augmentation du nombre de cancers du sein chez la femme jeune ?

Dr M.S. : La proportion des femmes jeunes touchées ne s’explique que par l’ensemble des cancers du sein qui est en augmentation. Le problème du dépistage de masse est de ne regarder le cancer du sein que sous l’angle de l’âge, or il est surtout lié aux antécédents personnels et familiaux. Dans le cadre des programmes organisés, il a été question de ramener l’âge à 47 ans. On détecterait bien sûr plus de cancers, bien sûr on sauverait des vies, et d’ailleurs le dépistage de masse de 50 à 74 ans a permis de diminuer la mortalité par cancer du sein de 20 %, c’est énorme. Mais si on réduit l’âge du dépistage, sachant que chez les femmes en dessous de 50 ans le taux de cancers est plus faible, on réalisera aussi énormément de mammographies pour des femmes qui n’auront jamais de cancer du sein. Cela engendrera nombre de biopsies, de contrôles, de vérifications pour des problèmes tout à fait bénins. Finalement, la balance entre le bénéfice en termes de diagnostic, de survie, et les effets secondaires induits, la toxicité au sens large auprès de la population, n’est pas en faveur de la modification de l’âge du dépistage organisé.

Les femmes aux seins denses sont-elles plus à risque ?

Dr M.S. : Plus les seins sont denses, plus le risque de cancer du sein est important, et totalement indépendamment de l’âge. Toutefois, la densité mammaire évolue avec le poids, l’imprégnation hormonale, avec le temps aussi. Elle a tendance à diminuer avec l’âge. Il faut aussi savoir qu’il est plus difficile de détecter les tumeurs dans des seins denses, et que de plus ce sont les plus agressives. Les cancers triple négatifs ont tendance à survenir dans ce type de seins, et peuvent apparaître malheureusement pendant l’intervalle entre deux mammographies systématiques. Ce sont donc des seins à surveiller de près.

Traitements hormonaux de substitution et moyens contraceptifs sont-ils des facteurs de risque ?

Dr M.S. : Une grande étude parue récemment portant sur une cohorte de dizaines de milliers de femmes pour évaluer l’impact en particulier de la contraception montre que les contraceptifs hormonaux, en incluant le stérilet progestatif, augmentaient très légèrement le risque. Pour le THS, c’est également prouvé. L’incidence des cancers du sein a augmenté lors de sa prescription en grand nombre, et a diminué lorsque celle-ci est devenue moins massive. Malgré tout, que ce soit pour la contraception ou le THS, une évaluation personnalisée du risque se justifie. Finalement, les femmes n’étant pas toutes égales face à ces traitements, à certaines, on peut proposer un contraceptif adapté ou un THS aux bonnes doses de manière individualisée, en essayant d’équilibrer les autres facteurs de risque, tel le surpoids après la ménopause, et ainsi offrir à chaque femme des réponses à ses besoins spécifiques, mais en réévaluant leur risque tous les 5 ans.

Pour une femme sans antécédents, en quoi consiste une approche personnalisée ?

Dr M.S. : Aujourd’hui, on a les moyens de bien mieux évaluer le risque et d’adapter la surveillance, pas simplement au facteur âge, mais à des facteurs complexes et combinés que l’on peut intégrer dans des algorithmes pour faire l’évaluation des risques individuels. C’est la combinaison des facteurs qui permet de déterminer pour chaque femme à 40 ans ou à 70 ans son risque pour les 5 ans à venir de développer un cancer du sein, et ainsi de demander une mammographie voire une IRM, indépendamment de l’âge. Pour la plupart des femmes pour lesquelles on fera cette estimation de risques, la démarche sera rassurante et leur évitera de faire des imageries à répétition, des mammographies et des échographies, et ainsi d’être dans le surdiagnostic.

Les progrès thérapeutiques permettent-ils le choix d’une chirurgie conservatrice plus fréquent ?

Dr M.S. : Le bénéfice d’un dépistage précoce est de détecter une tumeur plus petite et de s’appuyer sur des chirurgies qui ont techniquement évolué. On pratique moins le curage axillaire, pendant lequel on enlevait dans le premier relais ganglionnaire 4 à 6 ganglions dont la conséquence est un risque de gros bras. Aujourd’hui, on sait que si une tumeur fait moins de 5 cm, on ôte un ganglion sentinelle qui sera le témoin de la chaîne ganglionnaire, et s’il est indemne de métastases, on ne touchera pas aux autres. Donc plus de risque de gros bras ou de cicatrice sous l’aisselle, et toutes les complications qui vont avec. En outre, la chirurgie du sein a beaucoup profité de l’oncoplastie, qui consiste à ôter la tumeur et dans le même temps à combler la partie enlevée avec le reste de la glande mammaire afin de redonner une forme harmonieuse au sein. Les nouvelles techniques permettent de réaliser des chirurgies conservatrices pour des tumeurs de plus en plus grosses, alors que ce sont des tumeurs de plus en plus petites qui sont détectées. En termes de séquelles, on a gagné énormément au plan esthétique.

En cas de mastectomie, quelles sont les techniques de reconstruction mammaire privilégiées ?

Dr M.S. : Celles de la micro-chirurgie. On prend un lambeau vivant de peau, de muscle et de graisse du ventre, et on reconstruit un sein constitué exclusivement avec des tissus naturels de la femme. Ils feront partie intégrante de son corps, grossiront en même temps qu’elle et vieilliront avec elle.

La reconstruction peut-elle être immédiate ?

Dr M.S. : Dans tous les cas où c’est possible, il faudrait le proposer. Le taux de reconstruction immédiate est de 40 % aux États-Unis et seulement de 10 % en France. On a donc de la marge pour le faire plus souvent. Mais ce n’est pas toujours possible. Si par exemple la patiente présente un cancer du sein agressif, il serait dangereux en raison de la reconstruction de passer à côté d’une rechute locale voire de la favoriser. La morphologie de la femme peut aussi être un frein. Mais certaines femmes ne supportent pas l’idée de se réveiller sans sein. On doit alors pouvoir proposer la technique possible de reconstruction dans l’immédiat, avec prothèse uniquement, en attendant d’avoir recours à un lambeau de peau du dos ou du ventre dans un deuxième temps. Malheureusement, souvent, le manque d’expertise du chirurgien, qui n’a pas de formation de plasticien, dont le rôle se limite à ôter le cancer ou à pratiquer une mastectomie, le rend incapable de proposer la reconstruction immédiate, s’il ne travaille pas dans le même temps avec un plasticien. C’est probablement le frein le plus important en France. Ainsi, en matière de chirurgie, il est très important de demander un deuxième voire un troisième avis.

Une prothèse doit se changer au bout de combien de temps ?

Dr M.S. : Théoriquement, une prothèse se change tous les dix ans. Le problème des prothèses n’est pas tant les fuites, mais plutôt la formation de coques. Une fibrose qui se forme et durcit au-dessus de la prothèse donnant au sein reconstruit un aspect figé, dur… obligeant à changer la prothèse. De plus, ces coques peuvent apparaître un an après la chirurgie, comme vingt ans après.

Les nouvelles techniques de reconstruction ne sont-elles pas lourdes ?

Dr M.S. : Il y a effectivement le risque de douleur, celui que la greffe ne prenne pas, le besoin de rééducation derrière. L’expertise est donc essentielle pour poser les bonnes indications en fonction des risques de complication qui sont tous liés à la morphologie de la femme, à sa musculature, à son état de forme physique global. Surtout, il importe de prévenir la patiente du long chemin que sera la reconstruction. L’accompagnement psychologique est majeur. Pour les femmes, il est très difficile de se projeter et de vivre la mastectomie et la reconstruction. Elles ont vraiment besoin d’être très informées, accompagnées et rassurées plus que pour tout autre acte médical. Voir un psychologue est une nécessité avant l’opération et après l’ablation du sein afin de pouvoir se reconstruire psychologiquement aussi.

La nouvelle technique de l’autogreffe n’est-elle pas moins invalidante ?

Dr M.S. : On fait aujourd’hui ce qui s’appelle du lipofilling. On prend de la graisse par liposuccion sur le 

ventre, les cuisses, et on l’injecte dans le sein afin de retrouver le volume qui manque. Cette méthode sans trace, sans séquelle, sans trop de complication et de douleur, permet de reconstruire un sein. Mais son utilisation dépend de la morphologie de la femme. Il faut pouvoir trouver la quantité suffisante de graisse, mais savoir aussi que cette graisse aura tendance à fondre avec le temps. Il faut donc recommencer au bout de 6 mois ou un an.

Quel est le pourcentage de femmes qui ne souhaitent pas de reconstruction ?

Dr M.S. : Parmi les femmes auxquelles on a proposé une reconstruction, 25 % finalement refusent. Elles ne veulent pas retourner au bloc opératoire et ont fait le deuil de leur sein. Ce ne sont pas forcément les plus âgées d’ailleurs qui prennent cette décision.

 

 

 

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